Les révolutions nord-africaines, l’Afrique et la démocratie
Le "Choc des civilisations" n'aura pas lieu. C'est au contraire un puissant mouvement de convergence qui se profile à présent à l'échelle planétaire. Le monde musulman n'échappe pas à la règle. Du Maroc à l'Indonésie, de la Bosnie à l'Arabie Saoudite, sa démographie en témoigne : hausse du niveau d'alphabétisation des hommes et des femmes, baisse de la fécondité, érosion de l'endogamie... Des bouleversements qui sont à la fois le signe et le levier d'une mutation en profondeur des structures familiales, des rapports d'autorité, des références idéologiques. Ce processus ne va pas sans générer crispations et résistances. Mais ces réactions sont moins des
obstacles à la modernisation que les symptômes de son accélération.
De nombreuses formes de gouvernement ont été essayées et seront essayées
dans ce monde où règnent le péché et le malheur. Nul ne prétend que la
démocratie est parfaite ou qu’elle n’est que mensonge. On a même dit que la
démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres.
Winston Churchill, 1947
Contrairement à la croyance populaire, la propagation de la démocratie n’est pas un
phénomène nouveau en Afrique. Comme Peter Schraeder le souligne, « la ‘troisième vague’
de démocratisation au sein du système international (les deux premières vagues ont com
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mencé dans les années 1820 et 1940) a conduit à une effusion d’études érudites... Dans le
cas des études africaines, des analyses savantes sur le processus de démocratisation avaient
augmenté de façon spectaculaire à la fin de la décennie des années 1980 et désignaient ce
processus comme le ‘printemps’ africain ou la ‘seconde indépendance’
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». Ce vent de démo
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cratisation qui souffle depuis 1974 n’a pas épargné l’Afrique, à l’exception de l’Afrique du
Nord qui a été à la traîne du reste du continent. Cependant, la
Révolution du Jasmin
,
déclenchée par l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi
Bouzid en Tunisie, et l’éviction du président Zine El Abidine Ben Ali 28 jours plus tard,
le 14 Juin 2011, a été un réveil brutal. Les révolutions nord-africaines de Tunisie, d’Egypte
et de la Libye ont donné un nouvel élan à l’évolution démocratique en Afrique. Les réac
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tions immédiates venaient de Mauritanie, du Burkina Faso, du Gabon, de l’Ouganda, du
Nigeria, du Malawi et du Sénégal. Certains gouvernements africains ont interdit toute
mention des mots terrifiants de
révolution du jasmin
,
printemps arabe
ou
révolutions nord-
africaines
sur l’Internet et les médias publics. D’autres autocrates avaient ouvertement
soutenu les despotes en voie de répudiation. Les révolutions nord-africaines se répandi
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rent comme une trainée de poudre au Moyen-Orient et avaient choqué le monde entier,
en particulier les régimes autoritaires qui font obstacle au Conseil de sécurité dans sa
recherche d’un moyen de protéger les communautés et les civils contre les abus de leurs
propres gouvernements.
Jusqu’à récemment, la démocratie a été synonyme de pays riches et presque tous les pays
à culture largement occidentale. On supposait que la démocratie était incompatible avec
les nations non-européennes avec différentes cultures, civilisations, religions, etc. Au
mieux, il était admis que la démocratie était un luxe que les pays pauvres ne pouvaient se
permettre. Le Mali est un désaveu à cette croyance. Le Mali a évolué, sans tambour ni
trompette, de 35 ans de règne d’un parti unique et de 23 ans de dictature militaire à une
démocratie multipartite. Le Mali n’a aucune des conditions préalables supposées pour la
démocratie. Sans littoral, le Mali a une population de plus de 14 millions. La plupart des
adultes sont analphabètes ; environ la moitié d’entre eux sont démunis (en dessous du seuil
international de pauvreté de 1,25 dollar [américain] par jour), et face à une espérance de
vie de seulement 44 ans. En outre, la population malienne comprend plus de dix groupes
ethniques et est majoritairement musulmane
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. Si la démocratie peut émerger et persister
pendant plus d’une décennie au Mali, il n’y a aucune raison pour que la démocratie ne
puisse se développer dans les autres nations totalitaires, pauvres ou riches.
La démocratie n’est plus un luxe. Les régimes autoritaires existent non pas par la
volonté du peuple ; au contraire, les récentes manifestations de courage ont montré au
monde que tous les peuples aspirent à la liberté. Les régimes autoritaires existent parce
que des élites politiques étroites, corrompues, égoïstes, retranchées sont servies par cette
dictature. Larry Diamond écrit qu’« il n’y a pas de conditions préalables à la démocratie,
autre qu’une volonté de la part de l’élite d’une nation pour tenter de gouverner par des
moyens démocratiques
3
». La démocratie est présente dans toutes les grandes traditions
religieuses et philosophiques, dans les pays qui sont à prédominance chrétienne, juive,
hindoue, bouddhiste, confucéenne et musulmane.
Par ailleurs, l’Indonésie, qui n’est clairement pas un pays africain, peut néanmoins être
instructive quant à la gouvernance démocratique. Ce pays, le plus grand pays musulman
dans le monde, a connu la colonisation, les coups d’état, les dictatures, les rivalités eth
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niques et les insurrections violentes. Néanmoins, selon le président indonésien Susilo
Bambang Yudhoyono, « Peu importe comment on définit ce terme insaisissable de
‘démocratie’, je n’ai aucun doute que l’avenir appartient à ceux qui sont prêts à embrasser
de façon responsable
le pluralisme, l’ouverture et la liberté... une fois que les individus et
les communautés développent un goût pour l’exercice de la démocratie et du choix
démocratique, ils sont susceptibles de s’accrocher à la démocratie et se battre pour elle
quand elle est menacée. En bref, nous [les Indonésiens] avons réveillé notre instinct
démocratique
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