Les cinq chansons protestataires les plus efficaces de tous les temps

Une chanson entraînante peut capter l’esprit d’un mouvement politique. Mais peut-elle réellement changer le monde? Nous avons posé la question au journaliste britannique Dorian Lynskey, dont le nouvel ouvrage, 33 Revolutions per Minute, retrace l’histoire de la chanson protestataire, du Strange Fruit de Billie Holiday à l’American Idiot de Green Day. Naturellement, souligne Lynskey, une chanson à elle seule ne peut changer une loi ou renverser un régime, mais elle peut avoir une influence importante, même indirectement, sur des changements concrets. C’est dans cet esprit que nous avons demandé à Lynskey de citer les cinq chansons protestataires les plus efficaces de tous les temps. Voici sa liste —ne partez pas avant la fin, il y aura un bonus pour vous bouger les fesses.
Pete Seeger et tous les autres, We Shall Overcome (1963)
«Il y a quelque chose dans cette chanson qui vous hante», médita Martin Luther King Jr. la première fois qu’il entendit We Shall Overcome interprétée par l’activiste et chanteur folk Pete Seeger en 1957. Quand 250.000 voix la reprirent lors de la Marche vers Washington six ans plus tard, elle était devenue la chanson protestataire la plus connue d’Amérique.
Ce cantique transformé en chanson syndicale, puis en hymne pour les droits civiques, s’imprégna d’histoire. Les participants aux funérailles de trois des quatre fillettes tuées lors de l’attentat de l’église de Birmingham, dans l’Alabama, la chantèrent. En 1965, le président Johnson la cita dans son discours demandant au Congrès de voter la Loi sur les droits de vote [permettant à tous les noirs de voter].
Quand Malcolm X mit la non-violence en question, il déclara: «Je ne crois pas que nous allons triompher [overcome] par des chansons.» Quand le quartier de Watts explosa en 1965, le procureur général Ramsay Clark râla sur le fait que «l’ère de We Shall Overcome, c’est terminé».
Bien après que cette chanson fut supplantée par les cris de guerre du Black Power, elle résonnait encore dans des contrées aussi lointaines que l’Afrique du Sud et l’Europe de l’Est, l’Irlande du Nord et l’Inde. Et lors du concert d’investiture d’Obama, le président rendit hommage à la chanson qui avait rempli le Washington Mall 46 ans auparavant en promettant:
«We will overcome what ails us now [Nous triompherons de ce qui nous afflige aujourd’hui].»
Bob Dylan, Hurricane (1975)
«Chaque titre dans le journal est une chanson potentielle», écrivit le contemporain de Dylan, Phil Ochs, dans son essai de 1963 The Need for Topical Music. Les deux paroliers ne tardèrent pas à découvrir que les chansons journalistiques pouvaient tomber rapidement en désuétude, mais que parfois, on pouvait transcender l’instant et donner au fait divers la puissance durable du mythe.
Dylan, qui rejeta le rôle de «voix d’une génération» quasiment au moment même où il en fut affublé, avait apparemment abandonné les chansons protestataires en 1975 quand il devint obsédé par l’affaire Rubin «Hurricane» Carter, un boxeur rejugé pour un triple meurtre dans le New Jersey en 1966. Pendant plus de huit minutes et demie, il met tous ses talents narratifs au service de cette histoire, la bourrant de détails et de dialogues. Conteur plus que chroniqueur, Dylan commit quelques erreurs (il dut même réenregistrer certains vers pour éviter des procès) et exagéra les talents de boxeur de Carter (qui n’approcha jamais le niveau de «champion du monde») mais, tout comme The Lonesome Death of Hattie Carroll de 1964, cette chanson était davantage destinée à être une parabole de l’injustice raciale qu’un récit fidèle.
Dylan continua d’œuvrer pour la cause de Carter en donnant des concerts à son profit. La condamnation du boxeur fut d’abord confirmée, mais un autre appel déboucha sur l’abandon de toutes les charges en 1988. Un biopic de 1999, Hurricane Carter, avec Denzel Washington dans le rôle de Carter, utilise la chanson et lui rend hommage pour avoir fait d’une erreur judiciaire une cause célèbre à la réputation durable.
The Special AKA, Free Nelson Mandela (1984)
En 1980, le parti sud-africain ANC décida d’insuffler une énergie nouvelle à sa campagne internationale incarnant la lutte contre l’apartheid dans la figure de son ancien dirigeant incarcéré. Dix-huit ans après son arrestation, Mandela était encore suffisamment inconnu hors de son pays d’origine pour que, comme il en plaisanta plus tard, quand des affiches Free Mandela commencèrent à apparaître sur les murs de Londres, «la plupart des jeunes gens pensent que “Free” c’était mon prénom». Jerry Dammers des Special AKA (le groupe qu’il forma à partir des cendres des Specials, groupe britannique de ska) apprit son existence lors d’un festival de musique africaine en 1983 et transforma les informations qu’il trouva sur des tracts anti-apartheid en une chanson si entraînante et joyeuse qu’elle sonnait comme une célébration prématurée.
Produit par Elvis Costello, Free Nelson Mandela a contribué plus que n’importe quelle œuvre d’art à faire de Mandela une icône mondiale de résistance. Dammers reçut des lettres de félicitation de l’ONU et de l’ANC, et même si son label sud-africain le supplia de ne pas leur envoyer de disques par crainte des poursuites, la chanson se répandit naturellement parmi la population noire. Dammers, qui fonda le groupe de pression britannique Artists Against Apartheid, eut l’honneur de l’interpréter devant Mandela en personne lors d’un concert de célébration de sa libération en 1990. «Ah oui, déclara le politicien lorsqu’il fut présenté au parolier. C’est très bien.»
Body Count, Cop Killer (1992)
Une chanson efficace pour de mauvaises raisons car elle fit tomber le rideau sur les années de radicalité du hip hop, et fit fuir en courant les artistes et les labels. À partir du Fuck tha Police de NWA en 1988, le hip hop devint politiquement explosif, énervant la police, les experts et les politiciens grâce à la rhétorique militante de Public Enemy et Ice Cube. Il essuya de nombreuses controverses jusqu’en 1992, année électorale qui vit aussi le déchaînement furieux des émeutes de Los Angeles.
Tandis que Bill Clinton dénonçait la rappeuse Sister Souljah du groupe Public Enemy, le président Bush fut l’une des nombreuses personnalités à se joindre au chœur des associations de police condamnant le groupe d’Ice-T Body Count, dont le Cop Killer [tueur de flic] déclencha une panique morale opportuniste. Sous la pression de menaces de mort, de boycotts et d’actionnaires en colère, Ice-T céda et remplaça la chanson sur les nouveaux exemplaires de son album par le titre mordant Freedom of Speech [Liberté d’expression]. Les albums d’autres MC controversés se retrouvèrent soudain au rencard ou édulcorés. «Évidemment, ça faisait peur aux gens», réfléchit plus tard Chuck D, de Public Enemy. «Et les rappeurs veulent réussir.»
El Général, Rais le Bled (2011)
Beaucoup de paroliers écrivent des chansons appelant un dirigeant impopulaire à se retirer. Très peu voient leur souhait se réaliser en quelques jours. Quand Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits tunisien au chômage, s’est immolé pour protester contre la corruption policière en décembre dernier, il a déclenché des ondes de choc révolutionnaires. Le rappeur de 22 ans Hamada Ben Amor (nom de scène: El Général) a ensuite mis en ligne une vidéo où il s’en prend violemment au président Zine el Abidine Ben Ali. Un acte de courage impressionnant.
Dans son clip lo-fi, il apparaît tel un procureur guérillero, égrenant inexorablement les crimes du président tout en étant parfaitement conscient que l’État le poursuivrait: «Je vois trop d’injustices, j’ai donc décidé d’envoyer ce message même si on me dit que je finirai mort.» Ben Amor fut promptement arrêté et détenu pendant trois jours, mais peu après sa libération, le président Ben Ali s’enfuit en Arabie saoudite, première victime du Printemps arabe. Lors de son premier concert après le départ de Ben Ali, El Général lança une nouvelle chanson, tout aussi prophétique: «Égypte, Algérie, Libye, Maroc, tous doivent être libérés/Longue vie à la Tunisie libre!»
Bonus! Les cinq chansons contestataires les plus dansables
1. Carl Bean – I Was Born This Way (1977)
2. Frankie Goes to Hollywood – Two Tribes (1984)
3. Fela Kuti & Afrika 70 – Zombie (1976)
4. Curtis Mayfield – Move on Up (1970)
5. Public Enemy – Fight the Power (1989)
« America, you have built your house at the foot of a volcano. Move your house ! » In this case, ’move your house’ means « end your addiction to oil. »
Thomas Friedman (New York Times 23. 02. 2011)
Un vent d’Est souffle, dit-on, sur les pays arabes qui, à des degrés divers, connaissent une remise en cause de leur mode de gouvernance ; On présente comme une nouveauté, les révoltes qui ont pris à défaut l’Occident, rassuré, le croyait-il, ad vitam aeternam du sommeil des masses arabes et s’accommodant sans peine des gouvernants autocrates pourvu que leurs intérêts -survivance pour la plupart d’indépendances bâclées, notamment des peuples subjugués par les impérialismes français et anglais- soient bien protégés.
Le réveil arabe au début du XXe siècle
Pourtant « le réveil arabe et musulman » n’est pas une nouveauté, Déjà Djamel Eddine Al Afghani se lançait dans la Nahda, on se souvient de la réponse cinglante qu’il fit au discours de Renan sur la nullité de l’Islam. Plus tard ce sera Mohamed Abdou et Rashid Redha au début du XXe siècle,qui prendront le flambeau, en vain. Les impérialismes anglais et français ont tout fait pour empêcher l’émancipation des masses arabes à qui on avait promis l’indépendance de l’emprise de l’Empire ottoman. En lieu et place, l’impérialisme fera tout pour briser les velléités d’indépendance -Accords de Sykes Picot qui ont eu pour but de dépecer l’Empire ottoman- en ajoutant à cela le sionisme avec la Déclaration Balfour.
Il n’empêche ! et malgré la suppression du Califat en 1923, les intellectuels et les élites politiques arabes furent séduites par Mustafa Kémal. On vit alors fleurir des cercles d’intellectuels sur le modèle « Jeunes Turcs » ce sera, « les Jeunes Algériens... Tunisiens » qui ne firent pas long feu. Le jeune Bourguiba des années vingt imita même le drapeau turc En Algérie, l’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader, crut qu’avec la « Déclaration du président américain Wilson en 14 points » sur la nécessité pour les peuples à disposer d’eux-mêmes, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Algérie pourrait prétendre à l’indépendante. Il n’en fut rien ! L’Emir Khaled, saint-cyrien, fut exilé à Damas.
La singularité du combat l’Algérie
Sans pouvoir revenir sur toutes les convulsions des peuples arabes, « Peuple des beaux départs » disait, à tort, Lawrence d’Arabie pour paraphraser le feu de paille, qu’il nous suffise de faire remarquer que l’Algérie est le seul pays arabe –macabre privilège à avoir payé chèrement son indépendance. Plus d’un million de morts ont valu à l’indépendance, une aura à nulle autre pareille. Nous savons, à notre corps défendant, ce que c’est que lutter pour la liberté parce que nous en avons été privée pendant plus de 132 ans par un colonialisme abject à qui, des nostalgériques avec une repentance à géométrie variable, trouvent des vertus positives. Nous attendons, de ce côté le jugement de l’Histoire. Pour la période la plus récente là, encore, l’Algérie fut aussi, la première à se faire remarquer par le culte du martyr.
Qui se souvient de « l’Explosion d’Octobre 1988 », qui fit autant de morts que les révoltes tunisienne et égyptienne, que la doxa occidentale présente comme le nec plus ultra du combat pour la liberté ? S’il faut se recueillir devant les morts tunisiens, égyptiens, libyens, et sans faire dans la concurrence victimaire, force est de constater que l’Algérie, dans son long et lent combat pour la liberté et la dignité pour un projet de société spécifique, ne fait pas les choses à moitié, ce sera après Octobre 1988, après une euphorie éphémère, la décennie rouge du combat pour un projet de société en devenir, même à l’heure actuelle. 20.000 morts plus tard avec un terrorisme qui joue les prolongations, on ose dire à l’Algérie de faire comme la Tunisie ou l’Egypte !!! L’Algérie a déjà payé son tribut à la mort. Il est à craindre que l’instabilité actuelle que connaissent ces pays risque de durer..Quand je vois ce qui se passe en Tunisie et en Egypte, le vent de liberté et de désordre concomitant, je prie le Ciel de leur faire l’économie des étapes douloureuses par lesquelles le peuple algérien est passé. Aux frères tunisiens et égyptiens, un conseil : Ne vous faites pas confisquer votre révolte par les « marchands du temple ou les laudateurs d’une laïcité prêt-à-porter ». Soyez nationalistes ! Et ayez à cœur l’intérêt supérieur du pays.
« Pourquoi avons-nous tant attendu, s’interroge Khaled Hroub d’Al Hayat ? Depuis la naissance de l’Etat moderne, les pays arabes ont connu de nombreuses formes de régime : monarchie, sultanat, émirat et République. Dans la plupart des monarchies, il existait un Parlement et des partis politiques...Depuis des décennies, une grande question nous poursuit : pourquoi donc les Arabes ne se révoltent-ils pas contre l’injustice et le despotisme ? (...) Le despotisme arabe avait fait preuve d’une étonnante capacité de résistance, nous mettant au défi de répondre à cette question persistante : pourquoi ne se révoltent-ils pas ? Pourquoi ne se démocratisent-ils pas ? (...) La vieille école de l’orientalisme se rappelait avec sarcasme à nos souvenirs, avec ses adeptes qui dissertaient sans jamais remettre en question leurs certitudes sur l’accoutumance des Arabes à la tyrannie et leur prédisposition à vivre avec ». (1)
« En Occident, dans les cercles académiques et journalistiques, on parlait de « l’exception arabe », idée selon laquelle les Arabes n’étaient historiquement, culturellement et religieusement (bref, par essence) pas prêts à accepter les valeurs de liberté, de démocratie et de pluralisme. (...) Les formes traditionnelles de la soumission se seraient reproduites sous la forme de l’Etat moderne, qui n’avait pris de la modernité que les apparences et le savoir-faire répressif. Or, ce discours sur l’exception arabe est contredit par le soulèvement auquel nous assistons aujourd’hui à travers tout le Monde arabe. Il est salutaire en ce qu’il redonne confiance aux Arabes, individuellement et collectivement. (...) Tout cela, le choc des indépendances, la fragilité des légitimités, l’hésitation entre nationalisme étroit et panarabisme, la nécessité du développement économique, la menace israélienne et les ravageuses interventions étrangères ont contribué à prolonger la durée de vie des dictatures. Leur temps arrive maintenant à échéance. (...) En effet, le véritable développement et la réussite économique exigent la liberté, la transparence, la démocratie et une justice irréprochable qui combat la corruption au lieu de la couvrir. »(1)
L’Occident donneur de leçons et dictant la norme donne l’impression d’être débordé. Pour la première fois, la boîte de Pandore lui échappe, lui qui gérait les fichiers arabes d’une façon consécutive est obligé de les gérer d’une façon parallèle. Le philosophe Alain Badiou écrit : « Jusqu’à l’Occident désoeuvré et crépusculaire, la « communauté internationale » de ceux qui se croient encore les maîtres du monde, continueront-ils à donner des leçons de bonne gestion et de bonne conduite à la terre entière ? Quelle affligeante persistance de l’arrogance coloniale ! (...)Le peuple, le peuple seul, est le créateur de l’histoire universelle.(...) Ces créations vaudront preuve qu’un peuple se tient là. (...) On voit des jeunes femmes médecins venues de province soigner les blessés dormir au milieu d’un cercle de farouches jeunes hommes, et elles sont plus tranquilles qu’elles ne le furent jamais, elles savent que nul ne touchera un bout de leurs cheveux. (...) On voit encore un rang de chrétiens faire le guet, debout, pour veiller sur les musulmans courbés dans leur prière. »(2)
« Le politologue Olivier Roy ne dit pas autre chose. Il estime que les révoltes qui secouent le Monde arabo-musulman ont de très fortes particularités, mais qu’elles partagent toutes la même aspiration à la dignité et à la démocratie « C’est une révolte plus qu’une révolution. En 1989, on était aussi en présence d’une révolte qui a abouti à un changement parce que les régimes se sont effacés. Aujourd’hui, deux éléments font obstacle à ce mouvement. Le premier, c’est la résistance des régimes. Ici, chaque pays a sa spécificité. L’autre problème, c’est que la communauté internationale est très ambivalente. D’un côté, elle salue la démocratie, de l’autre, elle veut le statu quo. (...) L’Occident a été victime d’un aveuglement complet qui s’est fait sur deux bases. D’abord, l’obsession de l’Islam que l’on se représente comme une entité fermée sur elle-même, incapable d’évoluer, « l’Islam incompatible avec la démocratie », etc. (...) L’Islam, ce serait la violence et le radicalisme. Le deuxième point, c’est la vision stratégique : on a cherché uniquement la stabilité, centrée autour du conflit israélo-palestinien. Tout le but était d’obtenir un maximum de régimes qui neutralisent l’agressivité de leur population à l’égard d’Israël. (...) Il faudra vraiment longtemps pour que les Occidentaux intériorisent ce qui se passe. » Depuis dix ans, on s’est fait avoir par une rhétorique populiste - de droite comme de gauche - qui dit : le problème, c’est l’Islam. » (3)
En fait, le capitalisme occidental a, d’une façon ou d’une autre, suivi le mouvement et, débordé par les événements-il avait affaire d’habitude à des gouvernants et « leur opposition domestiquée ». Brutalement une autre inconnue, les jeunes, leur force venant du fait qu’il n’y a pas de chefs. Ils essaient alors de sauver les meubles en tentant de « contrôler » ce ras- le-bol légitime des jeunes Arabes pour leurs intérêts propres représentés principalement par le pétrole et l’immunité d’Israël. Le chroniqueur américain Thomas Friedman a récemment, dénoncé dans un article très remarqué, la complaisance de l’Amérique à l’égard des régimes de l’Opep. Le discours de l’Occident était : « tant que vous maintenez la pompe à essence ouverte, vous pouvez faire tout ce que vous voulez par ailleurs ». Thomas Friedman fait à juste titre de ce néocolonialisme de l’Amérique (de l’Occident) le principal responsable du décrochage du Monde arabe. Rappelons que l’invasion de l’Irak, dont tant de catastrophes ont découlé, a été décidée sous la pression des lobbies pétroliers américains. Dans une certaine mesure, on peut considérer que le phénomène Ben Laden a été inventé par eux pour servir de prétexte au renforcement de leur mainmise sur la zone. » (4)
On sait pourtant, que la « fabrication » des révoltes est une spécialité occidentale, sans remonter jusqu’à Mossadegh -Madeleine Albright a raconté comment cela s’est fait-, on se souvient qu’en mai 1998 écrit Michel Chossudovsky, le président Suharto d’Indonésie a été renversé à la suite de manifestations de masse. Les médias occidentaux ont signalé tous en choeur la « démocratisation » : le « roi de Java » avait été renversé par des manifestations de masse, comme ce fut le cas de Hosni Moubarak, décrit par les médias contemporains comme le « pharaon d’Égypte ». (...) La principale leçon à tirer de l’agitation en Indonésie devrait être le rôle décisif joué par les États-Unis et le Fonds monétaire international (FMI). [...] Ce néocolonialisme a pour effet de permettre un meilleur contrôle des ressources d’un pays par le capital étranger et laisse invariablement la majorité de la population davantage dans la misère, alors que la richesse est siphonnée encore plus rapidement sur les marchés boursiers de Londres et New York.(5)
Bertrand Badie interrogé lors d’un débat sur le Monde arabe pointe du doigt les singularités des révoltes : « (...) On a trop vite assimilé le cas algérien à celui de la Tunisie. Or l’Algérie sort à peine d’une guerre civile longue et coûteuse. En outre, elle ne connaissait pas le même étouffement des libertés qui, en Tunisie, a été explosif et fatal au despote. (...) La seule voie d’espoir se trouve dans le chemin suivi par les puissances émergentes, Turquie, Brésil, Inde, qui ont réussi peu à peu à se doter d’une démocratie grâce à leurs performances économiques, grâce à la naissance d’une véritable classe moyenne qui se reconnaissait dans les vertus d’un tel régime, et grâce enfin à la reconnaissance par l’extérieur de leur force et de leur respectabilité. »(6)
Quel modèle de gouvernance pour le Monde arabe ?
L’Occident réfléchit pour nous et nous propose le modèle turc qui commence à trouver grâce à ses yeux. Etat laïc dirigé par un islamiste modéré, la Turquie sert d’exemple après la révolution en Egypte. « Les révoltes arabes, écrit Marie Kostrz, ne sont pas encore achevées que l’on songe déjà au système qui se substituera aux dictatures renversées. A tort ou à raison, le « modèle turc », qui combine actuellement démocratie et parti islamiste modéré, est sans cesse montré en exemple. Avec une croissance économique avoisinant les 10%, c’est plus sa volonté de libéraliser l’économie turque que ses aspirations religieuses qui ont forgé sa popularité. » (7)
On peut donc penser que le modèle turc - juxtaposition d’un espace politique démocratique à l’occidentale, d’un parti conservateur avec des valeurs largement religieuses, et une armée qui se présente comme gardienne des fondamentaux- va séduire. C’est en gros l’avis de Tariq Ramadan. Pierre Haski lui donne la parole : « La direction du mouvement -la génération des fondateurs est aujourd’hui très agée- ne représente plus totalement les aspirations des jeunes membres, qui sont plus ouverts sur le monde, veulent des réformes internes et sont fascinés par l’exemple turc. » Tariq Ramadan choisit son camp quand il écrit : « L’exemple turc doit être une source d’inspiration pour nous. » (8)
L’Occident, ou plus exactement le capitalisme occidental qui dirige le monde, n’est intéressé par ses médias main stream, que quand ça saigne en Algérie ! Jean Daniel dit admirer la façon dont la police algérienne maîtrise le déroulement des manifestations et, qu’en définitive, il n’y a rien de saignant à filmer. Peut-être le regrette-t-il ?...Je suis de ceux qui croient à la nécessité inéluctable du changement à notre rythme. Nous avons gagné le droit d’une spécificité. Nous devons manifester dans le calme et la sérénité, protester en répondant par la non-violence au lieu de la provocation contre-productive. Le nationalisme pas plus que la démocratie n’étant le monopole de personne, l’Algérie a besoin de guides fascinés par l’avenir et qui font l’intérêt supérieur du pays par-delà leur propre parcours.
Il n’y a rien à attendre de l’Occident capitaliste qui n’est intéressé que par une vision fragmentaire du Monde arabe et des profits immédiats. S’agissant de l’Union du Maghreb qui peine à se déployer, notre avenir est dans notre solidarité. La solution consiste à se convaincre que nous n’avons d’avenir qu’ensemble avec l’immense atout de l’identité culturelle et cultuelle. Tarik Ibn Zayad avait bien raison de brûler ses vaisseaux en accostant en Espagne, il eut cette phrase sans appel : « Al ‘adou amamakoum oual bahrou ouaraoukoum » (l’ennemi est devant vous et la mer est derrière vous). Quelque part, ce qui peut arriver de mieux aux peuples maghrébins, c’est un défi, toujours recommencé : celui de se battre avec toutes les armes de la science et de la connaissance pour tenter de prendre le train du progrès.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 9 autres membres