La cytogénétique moléculaire
Syndromes microdélétionnels
Caractérisation des aberrations chromosomiques fines
a - Introduction
La cytogénétique moléculaire est née de la rencontre de la biologie moléculaire et de la cytogénétique conventionnelle, elle se situe à une échelle de résolution intermédiaire entre ces deux disciplines (figure 1). Cet outil a permis de couvrir en partie un champ d'études inexploité jusque là, en comblant l'intervalle qui existe d'une part entre la biologie moléculaire (quelques centaines de Kb) et d'autre part le pouvoir de résolution de la cytogénétique (environ 2 à 5 Mb). La cytogénétique moléculaire d'apparition relativement récente dont loutil principal est lHybridation In Situ en Fluorescence (FISH) sur préparation chromosomique a révolutionné lapproche traditionnelle de la cytogénétique. Le pouvoir de résolution de la FISH (dans certaines conditions moins de 1Kb) permet une analyse fine de la structure des chromosomes. Les applications en sont multiples tant en recherche (cartographie physique, hybridation croisée inter-espèce ) quen diagnostic (caractérisation ou détection dun remaniement chromosomique de petite taille...). Les laboratoires de cytogénétique utilisent actuellement de manière courante ces nouvelles méthodes devenues indispensables en complément de la cytogénétique classique pour les caryotypes constitutionnels (pré et postnatals) et sur tumeurs pour les anomalies chromosomiques acquises.
b - Historique
L'hybridation in situ fut appliquée à l'homme au début des années 70 pour localiser des séquences d'ADN satellite, jusqu'en 1981, seules les séquences hautement répétées purent être localisées. Le principe consistait à hybrider une sonde d'ADN marquée par un radio-isotope sur une préparation chromosomique ; la détection était réalisée par autoradiographie. L'analyse s'effectuait par comptage des grains d'argent sur les chromosomes colorés au giemsa. Au début des années 80 des améliorations techniques permirent la mise en évidence de séquence unique : utilisation de sondes clonées, introduction du sulfate de dextran dans la solution d'hybridation permettant d'augmenter le signal d'hybridation. Cependant, malgré leur réelle efficacité, la lourdeur de ces techniques nécessitant l'utilisation de la radioactivité en limitait l'exploitation : précautions liées à la manipulation de radio-isotopes, durée des temps d'exposition (2 à 3 semaines), longueur de l'analyse, manque de précision dans la localisation des signaux
L'introduction de marqueurs non radioactifs par modification chimique ou physique des acides nucléiques et le développement de systèmes de détection efficace, notamment la fluorescence, a permis aux laboratoires de diagnostics une utilisation en routine devenue indispensable au début des années 90. Les multiples progrès ont permis l'apparition de nouveaux outils spécialisés basés sur les principes de la FISH. : FISH multicouleur, CGH (hybridation génomique comparative), biopuces à ADN...Utilisées pour des applications particulières et exploitées par certains centres, l'essor de ces nouvelles techniques peut être pronostiqué dans les années à venir.
c - Principe
Le principe général de la FISH est illustré par la figure 2. Les techniques d'hybridation in situ sont fondées sur la propriété de réassociation spécifique des acides nucléiques. Une sonde dénaturée (ADN simple brin marqué) en solution peut s'hybrider spécifiquement avec sa séquence cible (préparation chromosomique dénaturée) grâce à la complémentarité des bases nucléotidiques. La sonde s'apparie par des liaisons hydrogène établies selon les critères de Watson et Crick. Les hybrides infidèles et les molécules de sonde non hybridées sont éliminés par lavages, puis les hybrides spécifiques sont révélés, en général par immunodétection et enfin l'observation s'effectue grâce à un microscope à épifluorescence. L'introduction de marqueurs non radioactifs a permis de s'affranchir de la lourdeur des techniques utilisant des radio-isotopes réservés aux laboratoires de recherche. De nombreuses améliorations ont permis d'obtenir une qualité et une reproductibilité remarquable (sondes clonées, amélioration des solutions d'hybridation....). Son utilisation pratique est relativement facile et rapide.
a Diversité des sondes (planche 1)
De nombreuses sondes sont actuellement disponibles et commercialisées, elles sont principalement de 4 types :
- locus spécifique (correspondant à un petit fragment chromosomique ; figures B et F)
- télomérique (figure C),
- centromérique (figure D)
En dehors d'applications particulières telle que l'HCG dont la sonde correspond à un génome entier, l'ADN est obtenu après clonage dans un vecteur ou par synthèse in vitro (tableau 1). Une méthode permet par diverses approches d'obtenir un caryotype "en couleur" grâce à l'utilisation de l'informatique et du traitement d'image : chaque chromosome est repéré par une combinaison spécifique de fluorochromes et donc une couleur qui lui est spécifique (Multi-FISH, Planche I, Figure E).
b Marquage des sondes
Pour permettre leur détection spécifique les sondes sont marquées soit par des procédés enzymatiques (figure 3) par introduction dhaptène (biotine, digoxigénine), soit par procédés chimiques. Actuellement de nombreux fournisseurs proposent des sondes directement marquées par des fluorochromes modifiés.
d Préparation des cibles
Elle est habituellement identique à la cytogénétique classique : préparation de lames de chromosomes en métaphase ou prométaphase. Des préparations spécifiques particulières sont parfois employées : études en interphase, chromatine étirée, peignage moléculaire de l'ADN, coupes tissulaires
g Détection des sondes
Les sondes marquées par des haptènes sont révélées par immunoréaction grâce à des anticorps spécifiques couplés à des fluorochromes. Le montage peut comporter un seul anticorps (immunodétection directe, figure 2) ou plusieurs anticorps superposés pour amplifier le signal (immunodétection indirecte). La difficulté est ici d'obtenir un rapport signal/bruit satisfaisant avec un minimum de bruit de fond.
- Détection directe :
Les sondes étant directement fluorescentes, la détection ne nécessite pas d'amplification du signal ; son utilisation en est donc plus facile, plus rapide et moins parasitée par le bruit de fond
e Analyse au microscope
La FISH nécessite un microscope à épifluorescence équipé de filtres appropriés aux nombreux fluorochromes disponibles : isothiocyanate de fluorescéine (vert-jaune), rouge Texas, rhodamine (rouge), coumarine (bleu)
). Les molécules émettent une lumière lorsqu'elles sont excitées par une longueur d'onde appropriée. Des filtres sont disponibles avec plusieurs bandes passantes permettant de détecter plusieurs couleurs durant la même observation (planche I, figure F1: double bande passante, figure F2 : triple bande). L'observation de couleurs difficilement perceptibles par l'il humain (cyanine, rouge sombre) ou la distinction de combinaisons nombreuses couleurs (Multi-FISH, planche 1 figure E) bénéficient indéniablement de l'avantage des caméras numériques de capture couplées au microscope. Il en est de même des logiciels adaptés au traitement de l'image.
c- Application clinique
La cytogénétique moléculaire intéresse tous les domaines de la cytogénétique classique : constitutionnelle : post et prénatale ainsi que récemment le diagnostic préimplantatoire ; analyse des anomalies acquises : onco-hématologie, tumeurs solides (tableau 2). Devant les différentes possibilités techniques offertes par la cytogénétique, le prescripteur peut être dérouté dans sa démarche diagnostique : caryotype conventionnel standard ou en haute résolution, sur fibroblastes, recherche de la fragilité de l'X, FISH avec recherche de microdélétion, association d'une étude en biologie moléculaire, Multi-FISH, étude "pantélomèrique"
sont autant d'analyses disponibles : un minimum de connaissances est nécessaire aux médecins impliqués notamment dans le cadre diagnostique du retard mental. Cette connaissance associée à une réflexion clinique appropriée, permet de prescrire à bon escient en collaboration avec le cytogénéticien les examens adaptés.
a Cytogénétique constitutionnelle postnatale
1 - Caractérisation d'une anomalie (Approche par une orientation cytogénétique)
L'étude des anomalies chromosomiques structurales découvertes de façon fortuite ou orientée sont l'une des applications majeures de la FISH. La caractérisation d'une anomalie de structure chromosomique peut être effectuée le plus souvent grâce à la cytogénétique conventionnelle. C'est le cas notamment des aneusomies de recombinaison dues au déséquilibre d'une aberration chromosomique parentale (malségrégation d'une translocation, remaniement d'une inversion
). Cependant, dans un certain nombre de cas cette technique n'est pas suffisante. La découverte d'une anomalie apparue de novo et/ou complexe nécessite parfois le recours à la cytogénétique moléculaire quand l'observation des bandes chromosomiques n'est pas déterminante pour en connaître avec certitude l'origine (planche 2 figures A, B, C). Le choix des sondes s'effectue grâce à l'orientation donnée par l'aspect chromosomique obtenu par différentes techniques classiques (bandes G, R, Q
) et parfois grâce aux données cliniques évocatrices. Sans aucune orientation, l'application de techniques récentes peut être d'un apport précieux : CGH, Multi-FISH (planche 3: figures A, B, C) microdissection chromosomique
Mais la mise au point difficile, la lourdeur et le coût de ces dernières doivent les faire réserver à une utilisation de dernier recours. L'origine de certains anneaux, de petits chromosomes surnuméraires, d'un deuxième chromosome impliqué dans une translocation de petite taille, d'une translocation ou d'une insertion apparue de novo sont autant d'indications de l'utilisation de la FISH dans ce cadre. La vérification d'une délétion , d'une duplication
, la précision des points de cassures de certains remaniements permettent par ailleurs un affinement du diagnostic.
2 - Recherche d'un syndrome microdélétionnel connu (Approche par une orientation clinique spécifique)
L'apparition des techniques de haute résolution chromosomique dans les années 1980 a permis de mettre en évidence des microremaniements dans des syndromes individualisés dans les années 60. Les syndromes microdélétionnels ont été définis comme la présence des pertes de fragment chromosomique de petites tailles (< 3 mégabases) décelable uniquement par l'utilisation des techniques de haute résolution ou de cytogénétique moléculaire. Néanmoins, dans la grande majorité des syndromes, un chromosome candidat avait été identifié grâce aux techniques standard, par la découverte de translocations intéressant la région correspondante. Quand ces nouveaux syndromes sont décrits et reconnus cliniquement, la cytogénétique moléculaire peut remplacer ou compléter la technique de haute résolution, d'autant plus que des délétions inframicroscopiques ont été décrites.
La notion théorique de syndrome à gènes contigus a été introduite par Schmickel pour définir l'ensemble de ces syndromes : le phénotype serait attribué à la perte de différents gènes physiquement proches sur la région chromosomique délétée. Cette notion est démontrée pour certains syndromes : le syndrome W.A.G.R (tumeurs de Wilms, Aniridie, anomalies Génitales, Retard mental) et le syndrome de Williams ; elle est partiellement contredite pour les syndromes d'Angelman et de Willi Prader, et pour le syndrome de DiGeorge, où l'action d'un seul gène semble dominer largement les conséquences phénotypiques.
Une dizaine de syndromes microdélétionnels sont maintenant reconnus et bien décrits, de nombreuses revues et articles ont été consacrés à la description clinique de ces syndromes. Dans ce chapitre ne sera évoqué que brièvement sous forme d'un tableau et d'illustrations, leurs principales caractéristiques (figure 4, tableau 3 et planche 4 et planche 5 )
De nombreuses entités cliniques bien reconnues peuvent être associées de manière sporadique à une microdélétion. Il s'agit de maladies de transmission autosomique dominante ou liée à l'X, retrouvées isolées ou associées dans le cadre des syndromes à gènes contigus. Le mécanisme dans ces cas est lié à une haploinsuffisance (gènes en simple dose par monosomie accidentelle). C'est le cas du piebaldisme et de la délétion en 4q13, de l'holoprosencéphalie et des délétions en : 2p21, 7q36, 21q22.3 Certains cas ont fourni un formidable raccourci pour la découverte de la localisation et du clonage de gènes impliqués dans des pathologies humaines.
Pour les syndromes les plus fréquemment associés à une microdélétion, la bonne connaissance de l'expression phénotypique de ces pathologies est nécessaire pour prescrire à bon escient la recherche spécifique d'un microremaniement.
3 - Approche sans orientation clinique dans le cadre du retard mental.
La recherche de la cause d'un retard mental inexpliqué après épuisement des moyens cliniques et paracliniques classiques peut amener à l'utilisation de techniques spécialisées : étude de l'ensemble des régions sub-télomèriques, FISH multicouleur, CGH, biopuces à ADN... Leurs évaluations et leurs indications sont en cours d'évaluation dans ce domaine.
b Cytogénétique constitutionnelle prénatale
En dehors de la caractérisation des aberrations de structure et de la détection de délétions inframicroscopiques sur certains signes d'appel échographique, la FISH dans le domaine du diagnostic prénatal, permet la détection rapide des principales aneuploïdies (chromosomes 13, 18, 21, X, Y) correspondant à la majorité des anomalies découvertes à ce stade d'évolution (planche 1, figures F1 et F2). La FISH sur noyaux interphasiques ne nécessite pas de mise en culture (culture de 10-15 jours en moyenne pour le liquide amniotique), une réponse peut être donnée en 24 à 48h après le prélèvement. Une confirmation reste nécessaire par la cytogénétique conventionnelle après culture pour étude du caryotype complet qui reste la référence. L'indication de cette technique n'est pas actuellement précisée, elle semble particulièrement intéressante lorsque le risque d'aneuploïdie est important : âge maternel avancé, signes d'appel échographique évocateurs, taux de risque calculé élevé des marqueurs sériques maternels
, ou en cas d'anomalie du développement détectée en fin de grossesse. De plus la FISH interphasique peut être un complément précieux en cas de faible nombre de métaphases analysables ou d'un examen conventionnel de qualité insuffisante.
Cette même technique de FISH interphasique est exploitée depuis peu dans le cadre du diagnostic préimplantatoire : diagnostic de sexe dans les affections liées à l'X, détection des aneuploïdies, mise en évidence des déséquilibres éventuelles d'un remaniement chromosomique parental (translocation, insertion..). La mise au point difficile de la sélection de cellules ftales dans le sang maternel permettra peut-être dans l'avenir l'utilisation de la FISH interphasique pour la détection des principales aneuploïdies.
d Intérêt de la FISH en cancérologie
La caractérisation des anomalies fait appel aux mêmes techniques évoquées précédemment. L'étude des anomalies chromosomiques acquises sur tumeurs à largement bénéficiée du développement de la cytogénétique moléculaire, d'une part les aberrations sont souvent nombreuses et complexes, d'autre part les préparations chromosomiques sont parfois de qualités insuffisantes ne permettant pas une analyse complète avec les techniques conventionnelles. Par ailleurs, les hémopathies malignes et certaines tumeurs solides peuvent se caractériser par un remaniement chromosomique spécifique (translocation, inversion) facilement détectable par la FISH. Les anomalies détectées notamment dans les leucémies ont fréquemment un intérêt diagnostique, pronostique et parfois dans le suivi du traitement pour en contrôler l'efficacité. La FISH est un complément précieux du fait de sa précision et de sa facilité. Par ailleurs, du point de vue fondamental, le ou les gènes jouant un rôle dans le processus évolutif de la cancérogenèse peuvent être localisés au niveau des points de cassure des remaniements spécifiques ou récurrents d' un type particulier de tumeurs. La FISH peut aider à la caractérisation de ces gènes (oncogènes, gènes suppresseurs de tumeur) par une première approche fine de localisation pour aboutir à leur clonage. Au niveau des tumeurs solides, il existe souvent des remaniements complexes : gains, pertes de chromosomes entiers ou partiellement, délétions ou amplifications chromosomiques. L'analyse cytogénétique classique est parfois difficile : culture cellulaire aléatoire, qualité médiocre des métaphases obtenues, index mitotique faible, contamination des cellules tumorales par du tissu sain
La FISH permet en partie de limiter les inconvénients de ce type de culture de tumeur notamment par le grand nombre de cellules pouvant être examinées aussi bien en métaphase qu'en interphase pour les sondes centromériques et locus spécifique. Des applications précises de la FISH interphasique sont connues : pour les leucémies myéloïdes chronique la recherche de la translocation spécifique (9;22) peut se faire grâce à l'utilisation d'un couple de sondes localisées aux points de cassure et révélées par des fluorochromes différents (FISH bicolore) sur noyaux. Par ailleurs, la FISH interphasique peut aider à la surveillance de greffes de moelle avec donneur de sexe différent par recherche de chimérisme XX/XY. La complexité des remaniements chromosomiques rencontrés dans les tumeurs solides et hématopoiétiques, et l'intérêt du point de vue fondamental de ces recherches dans le processus de la cancérogenèse ont amené les cytogénéticiens spécialisés dans ce domaine à utiliser de façon intensive les nouveaux outils basés sur le principe de la FISH et qui permettent une étude globale du génome étudié : Multi-FISH, CGH, biopuces à ADN.
d- Conclusion
La FISH rouge, verte, bleue, multicolore connaît désormais un succès quétaient loin dimaginer les cytogénéticiens dans les années 80. De la peinture de chromosomes aux puces à ADN basées sur le principe de la FISH, lhybridation in situ en fluorescence est actuellement en mesure de répondre à une multitude de besoins, en recherche comme en routine, dans les anomalies constitutionnelles comme dans les anomalies acquises. La méthode est habituellement simple et rapide quoique parfois délicate. Elle nécessite dans tous les cas une bonne connaissance de la cytogénétique conventionnelle pour une exploitation et une interprétation fiable. La FISH est devenue un test d'analyse chromosomique de complément indispensable dans les laboratoires de cytogénétique et elle jouera dans un avenir proche un rôle probablement prépondérant grâce aux nouvelles applications technologiques qui en sont issues.
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