UN DESTIN COMMUN POUR UN AVENIR MEILLEUR

la continuite et la complementarite des religions des autre sagesses du monde et de la democratie

Nous sommes à une étape nouvelle de la laïcité. La sortie de la religion se poursuit. Mais paradoxalement, ce recul continué ébranle l'idée de la politique qui s'était forgée pour répondre à son défi. Ce n'est pas, en effet, le retour, mais l'éclipse du religieux qui oblige la République à se redéfinir, à reconsidérer la place des croyances en son sein. Une redéfinition qui représente une rupture profonde pour la tradition française, tant la confrontation de l'Église catholique et de l'État y a été formatrice. Ce tournant dans les rapports entre religions et politique introduit au coeur des transformations de la démocratie : il offre un observatoire privilégié pour en saisir le principe et pour en dégager les principaux caractères ; il permet d'éclairer les difficultés qui l'affectent et ses avenirs possibles. Que peut vouloir dire le gouvernement des hommes par eux-mêmes quand ils se sont pour de bon émancipés de l'emprise des dieux ?

cette Histoire politique de la religion est tenue pour telle. L'ouvrage comble, il est vrai, une grande lacune, depuis les travaux pionniers de Durkheim, Max Weber et Rudolf Otto, en rendant au sujet la place qu'il mérite. Car le religieux a modelé activement, et plus profondément qu'il n'y paraît, la réalité collective dans toutes les sociétés jusqu'à la nôtre, en particulier les formes politiques. Marcel Gauchet propose un renversement de perspective : on a voulu voir l'histoire des religions comme un développement; or la religion pure est au commencement. Ce que nous appelons " grandes religions " correspond, en fait, à autant d'étapes d'une mise en question du religieux dans sa rigueur primordiale. De ce point du vue, il faut mesurer la spécificité révolutionnaire du christianisme et son rôle à la racine du développement occidental. Marcel Gauchet caractérise le devenir des sociétés contemporaines, depuis l'essor des techniques jusqu'à l'enracinement des procédures démocratiques, comme un mouvement vers une société hors religion. Le monde d'aujourd'hui ne s'explique que par la sortie et l'inversion de l'ancienne économie religieuse. Sa particularité, c'est le désenchantement du monde.

bn Khaldûn au secours d’un orient sclérosé et d’un monde ravagé par une mondialisation vorace, par Leila Salem.



 



Sous le pouvoir à peine conquis des Abbassides, Bagdad, entre le VIIIè et le Xè siècle, est le lieu d'un formidable éveil de la pensée philosophique et scientifique. Cet essor de la vie intellectuelle s'accompagne d'un vaste mouvement de traduction des textes grecs anciens. Que traduit-on ? Toutes les disciplines scientifiques -- de l'astrologie, de la médecine, de l'astronomie, des mathématiques... et même des manuels d'art militaire -, puis de la philosophie, notamment Aristote. Tout un corpus se constitue -- de traductions, fidèles ou paraphrastiques, en commentaires, de compilations en œuvres propres --, qui deviendra la base de la pensée arabe classique et une source capitale de notre accès à l'Antiquité grecque. L'originalité de Dimitri Gutas est d'analyser les facteurs sociopolitiques et surtout idéologiques qui ont permis ce grand mouvement culturel il corrige l'idée selon laquelle ces traductions auraient été faites en vertu d'une sorte de goût altruiste pour la culture. Il montre qu'elles émanent en réalité de la demande de l'État et plus généralement de la société, puisque leurs commanditaires sont les califes et aussi des marchands, des propriétaires terriens, des Arabes et des non-Arabes, des musulmans et des non-musulmans... Enfin, Dimitri Gutas décrit l'influence de cette grande entreprise de traduction sur cet autre renouveau intellectuel qu'on a appelé le " premier humanisme byzantin ". Salué, lors de sa parution en langue anglaise en 1998, par une critique unanime, ce livre est un classique des études sur les rapports entre l'Antiquité grecque et le monde arabe.

Un jour de 1364, le roi Pierre 1er accueillit dans son Alcazar à Séville un jeune ambassadeur venu de Grenade du nom d’Ibn Khaldûn. Alcazar, situé à côté de l’immense et ancienne mosquée almohade de Séville devenue la cathédrale de la capitale chrétienne, fut construit par les omeyyades d’Espagne à partir de 844 sous le règne de Abd al-Rahman II. Un siècle avant, Séville était une province d’Al Andalous, un pays qui s’étendait dans la péninsule Ibérique du Portugal à l’Ebre et qui, en cette année de 1364 était circonscrit au seul royaume de Grenade.

La famille du jeune Ibn Khaldûn avait connu Séville au temps de la gloire d’Al Andalous et avait joué un rôle important dans l’histoire de cette ville. Ses ancêtres prirent le chemin de l’exode vers 1248-1249 après l’annexion de Séville par les Chrétiens et s’installèrent définitivement à Tunis.

Pour Ibn Khaldûn, comme pour beaucoup de ses contemporains, Al Andalous était le lieu de la nostalgie et de l’éblouissement. Durant toute sa vie et à travers ses écrits, Ibn Khaldûn considérait ce lieu comme sa vraie patrie spirituelle même s’il gardait pour l’Afrique du Nord, sa terre natale, une affection particulière.

Pierre 1er fut séduit par l’éloquence et l’activité intellectuelle d’Ibn Khaldûn ; il le pria de rester et lui proposa de devenir son vizir mais ce dernier déclina l’offre et retourna à Grenade auprès du jeune prince Nasride Mohammed V et de son ami et rival Ibn Al-Khatib, vizir de Mohamed V et grand intellectuel de renom.

En cette année, Grenade était le dernier bastion d’un vaste califat qui fut un siècle auparavant phare du monde entier. Grenade la métissée, celle qui était peuplée d’Andalous aux origines diverses autochtones ou immigrées et aux langues et aux religions différentes était isolée et presque entièrement musulmane, il ne restait presque aucun chrétien et à peine quelques juifs. Grenade, comme le reste du monde musulman, était en train de tourner la page d’un passé prodigieux et fécond pour entrer dans une phase de décadence inéluctable. Le merveilleux Orient agonisant et la délicieuse Andalousie mourante ont-ils inspiré la théorie cyclique des civilisations, leurs grandeurs, leurs décadences et l’éternel recommencement qu’Ibn Khaldûn développa quelques années plus tard ?

Ibn Khaldûn resta deux ans à Grenade puis en 1365, il retourna en Afrique du Nord pour continuer sa carrière d’homme politique. Il servit différents états et étudia leurs institutions et leurs affaires ; il se mêla aux tribus berbères et observa leurs caractéristiques et leurs traditions. Puis à 42 ans, il se retira de la scène politique et s’isola près de Tiaret en Algérie pendant quatre ans pour rédiger Al Muqaddima ( le premier tome de son premier livre d’histoire universelle : le livre des exemples Kitab Al Ibar).

Lassé par la violence politique qui agitait l’Afrique du Nord, Ibn Khaldûn tenta de regagner la terre de ses ancêtres dans l’ancienne Andalousie. Malheureusement les choses ont beaucoup changé depuis 1363. Le roi Pierre 1er était mort, assassiné par son beau-frère Henri et le roi Mohamed V n’était plus ce jeune prince tolérant qu’Ibn Khaldûn avait connu quelques années auparavant et était devenu un tyran impitoyable. Quant à son ami et rival Ibn Al Khatib, il fut exilé en Afrique du Nord par le despote Mohammed V, où il fut accusé d’hérésie du fait de son attirance pour le soufisme et son amour pour la philosophie, il fut emprisonné et il mourut étranglé dans sa prison de Fès en 1374.

Ibn Khaldûn renonça donc à la terre de ses ancêtres et quitta définitivement l’Afrique du Nord pour le Caire afin de se consacrer à l’enseignement, à la magistrature et à l’écriture.

 

Ibn Khaldûn un génie universel et intemporel

Ibn Khaldûn est l’un des plus grands penseurs arabes. Son œuvre Kitab Al Ibar ( Livre des Exemples) est une monumentale histoire universelle « c ’est un monde ... une histoire du monde », écrit Gabriel Martinez-Gros. La première partie, Al Muqaddima (Introduction à l’histoire universelle), est un exposé théorique très pertinent pour l’étude des civilisations. La deuxième partie, Kitab Al Ibar (le livre des exemples), est une illustration de la théorie établie dans Al Muqaddima et un guide inestimable de l’histoire des musulmans d’Afrique du Nord et des Berbères. La troisième partie et la dernière est un livre autobiographique connu sous le nom de Rihla (voyage) qui est une étude particulière de l’histoire universelle à travers la vie d’un homme qui est celle de l’auteur.

Des sociologues, historiens ou philosophes tels Gabriel Martinez-Gros, Yves lacoste, Sylvestre de Sassi, De Slane, Quatremère, Franz Rosenthal, Gaston Bouthoul, Gilbert Grandguillaume, Vincent Monteil, Abdesselaqm Cheddadi, Maxime Rodinson et tant d’autres s’accordent pour dire qu’Ibn Khaldûn est un homme d’esprit de tous les temps qui a précédé son époque de plusieurs siècles, il a « conçu et formulé une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays » a affirmé le grand historien anglais Arnold Toynbee.

Avec son œuvre révolutionnaire, Ibn Khaldûn, cinq siècles avant Auguste Comte l’inventeur de la sociologie, a fondé une science nouvelle celle de la civilisation humaine et de la société humaine « notre propos actuel, est une conception nouvelle... C’est une science indépendante, dont l’objet spécifique est la civilisation humaine et la société humaine » écrivait Ibn Khaldûn dans son premier livre.

Précurseur de la théorie moderne de l’histoire, il en fit une science à part entière qui suit des processus soumis à des lois « l’histoire est une science, elle consiste à méditer, à s’efforcer d’accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître à fond le pourquoi et le comment des évènements ». L’auteur d’Al Muqaddima mis en garde contre le piège du mensonge « il faut combattre le démon du mensonge avec la lumière de la raison » écrivait-il.

Il insista sur l’objectivité sans parti pris et le souci scrupuleux de ne rien accepter sans explication « ils [des historiens] acceptent d’emblée leur histoire pour argent comptant, sans les contrôler...ni les comparer...ainsi s’égarent-ils loin de la vérité » critiquait-il les historiens de son époque et ceux qui l’ont précédé.

Il prévint contre la tentation du sensationnel et il recommanda la prudence à chaque fois qu’il s’agit d’argent ou d’effectifs militaires ; pour y parvenir « il faut toujours en revenir aux sources et s’en remettre à soi-même » afin de distinguer « naturellement entre le possible et l’impossible » affirmait-il.

 

Al Muqaddima, « c’ est un monde ...sur l’histoire du monde »

Dans Al Muqaddima, Ibn Khaldûn fournit des schémas et des idées pour l’Histoire universelle et établit plusieurs concepts dont trois sont fondamentaux pour comprendre la pensée Khaldûnienne :

- Al Umran (civilisation, organisation sociale, État),

- Al Açabiyya (solidarité, esprit de corps, force sociale ou cohésion ; elle peut aussi dans certains cas désigner la force clanique, tribale, communautaire ou religieuse),

- Al Mulk (pouvoir, souveraineté, État).

Pour Ibn Khaldûn, la vie en société est une nécessité pour l’homme « L’homme est fait pour vivre en société » et il est « politique par nature » il ne peut donc se passer de Umran (État).

Pour pouvoir s’organiser en société, les hommes ont besoin d’une Açabiyya (solidarité). Lorsqu’un groupe humain qui présente une certaine homogénéité et cohésion prend conscience de ses intérêts collectifs et se découvre des buts communs, il s’organise et l’esprit de corps se transforme en un instinct de domination qui donne naissance au Mulk (pouvoir).

Pour Ibn Khaldûn, le pouvoir est un concept strictement politique qui peut prendre la forme d’une monarchie, d’une royauté, d’une tyrannie ou encore d’un califat ; il est le moteur de l’histoire et sans lui, il n’y a pas de Umran (civilisation, État) « Quand la vie en société se réalise...il devient nécessaire d’avoir un chef qui les défend les uns contre les autres, à cause de l’agressivité et de l’iniquité qui sont inhérentes à leur nature animale  ».

 

Sans solidarité, pas de pouvoir et sans pouvoir pas d’État .

La nécessité de la vie en société pousse des tribus bédouines à porter le mouvement qui leur permet de passer d’une civilisation rurale et bédouine à une civilisation urbaine et sédentaire. Ce passage ne peut se faire que par la création d’un État et le choix d’un souverain dont le but est de permettre aux hommes de vivre en société, de cumuler les savoirs, les activités et les richesses.

Ces tribus solidaires, courageuses partageant les biens et supportant les privations créent un État fort et « juste ». Pour que l’État prospère, il doit assurer la stabilité de la domination et le maintien des populations sous le contrôle, imposer la paix, désarmer ses sujets et détruire les solidarités naturelles.

Le courage, les violences, les solidarités sont peu à peu éradiqués et sont remplacés par la violence organisée de l’État (représentée par son armée), par le goût et l’amour du gain et de l’argent et par l’obéissance. La loi, l’éducation, les sanctions et le désarmement de la population permettent la levée de l’impôt, signe de soumission des sujets et de l’éradication de la Açabiyya. Le pouvoir est respecté et craint, la civilisation urbaine se développe, les sciences s’épanouissent et la démographie augmente.

Quand le bien-être s’installe, la société devient de plus en plus individualiste et soumise et l’esprit de corps rompt. Des classes sociales apparaissent ; elles s’affrontent, mais continuent au début à vivre ensemble en paix.

Quand le luxe est à son comble, les luttes interclasses deviennent plus rudes, des turbulences politiques apparaissent et la paix sociale décline. L’État faiblit et le pouvoir devient coercitif, l’injustice s’installe et la solidarité naturelle disparaît complètement. La levée d’impôt se fait par la force et la spoliation. Moins prospère, le pays devient moins peuplé et les villes sont désertées ; la baisse démographique entraîne une diminution du travail qui à son tour conduit à la pauvreté et à la misère et le Umran (civilisation) finit par dépérir « Le luxe corrompt le caractère. L’âme prend toutes sortes de vices et de mauvaises habitudes...conséquences : régression et ruine. La dynastie montre des signes de perdition et de dissolution. Elle attrape les maladies chroniques de la vieillesse et meurt » rapportait Ibn Khaldûn dans Al Muqaddima. Et il ajoutait « Quand un État parvient à un haut degré de bien-être et d’aisance. Les habitudes du luxe se développent rapidement chez lui et il abandonne la vie dure et grossière qu’il avait menée jusqu’alors, afin de jouir du superflu ...il s’aperçoit combien le superflu est indispensable ...la souveraineté s’use dans le luxe et c’est le luxe qui la renverse ».

 

La « laïcité »

Une autre originalité d’Ibn Khaldûn est qu’il pense la politique indépendamment de la religion. Abdesselem Cheddadi, explique qu’il a existé assez tôt dans les pays musulmans, une séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux qu’Ibn Khaldoun a parfaitement identifiée et décrite. Le politique était un domaine réservé où les ulémas n’avaient pas leur mot à dire. La religion n’était qu’une force sociale, parmi d’autres ; elle jouait le rôle de ciment pour unifier les hommes autour d’un même idéal, mais ne dominait pas le pouvoir, elle lui subordonnait. Ibn Khaldûn, qui était à la fois rationaliste et mystique, explique que cette tendance à séparer le politique du religieux est due à la faiblesse de l’homme et à son incapacité à soumettre les lois politiques aux lois de la « vraie religion ».

 

L’injustice détruit la nation

Dans un chapitre, Ibn Khaldûn aborde la nature du pouvoir et la qualité d’un dirigeant politique. L’intérêt que représente un dirigeant politique pour son peuple ne dépend pas de son physique, ni de son savoir et ni même de son esprit. Ce qui compte, c’est que « le pouvoir doit être bon et bénéfique ; il doit servir les intérêts du peuple sinon il est nocif et mortel ». Un gouverneur est bon lorsqu’il « porte intérêt aux conditions de vie de son peuple » et qu’il soit doux « Ce qui fait une bonne autorité, c’est la douceur » et « tout pouvoir fondé sur la contrainte et la domination, et qui laisse libre cours à l’irascibilité, est injustice et oppression ». Les injustices telles la spoliation sans compensation ni motif, le travail forcé, la soumission à une obligation illégale, la réclamation d’autre chose que son dû ou le non-respect des droits du peuple détruisent la nation.

Un souverain qui utilise la force, compte et dénonce les fautes de son peuple, provoque la peur chez ce dernier, le pousse à la déprime, au mensonge, à la ruse et à la fraude.

 

Ibn Khaldûn et le monde d’aujourd’hui

Ibn Khaldûn était inconnu et n’a été découvert en occident qu’au moment de la colonisation de l’Algérie « il a été redécouvert en Europe par Sylvestn de Sacy, qui publia en 1830 des extraits de la Muqaddima, en version arabe puis en traduction. [...] Mais c’est surtout la conquête de l’Algérie et la décision, en 1840, du ministre de la Guerre de faire traduire le Kitâb al-’Ibar qui lancèrent un courant d’intérêt scientifique pour l’oeuvre, qui crût avec le temps » rapporte Claude Horrut.

Depuis, beaucoup de penseurs et de critiques occidentaux se sont intéressés à son œuvre, l’ont étudiée et l’ont traduite. Il a été comparé à Marx, Montesquieu, Tocqueville, Saint-Simon et bien d’autres. Beaucoup ont affirmé que la conception de l’histoire d’Ibn Khaldûn est très proche de celle qui s’est développé à la fin du XIXe siècle, que ses thèses peuvent être comparées à celles des penseurs modernes et ses analyses appliquées à notre monde actuel. En effet, Ibn Khaldûn posait bon nombre de questions que se posent les historiens actuels et cherchait, comme eux, à leur trouver une réponse dans les structures politiques, économiques et sociales.

Cependant les corrections et les rectifications à apporter aux traductions et aux idées sont nombreuses. Certains penseurs occidentaux refusant de reconnaître que la société musulmane de l’époque était en avance sur son temps, couvrent d’éloges Al Muqaddima et dénigrent Kitab Al Ibar. Ils affirment qu’Ibn Khaldûn n’était qu’un accident et que seul l’Europe du XIIIe était capable de produire des penseurs universels avec la stature d’Ibn Khaldûn « L’agrément de la Muqaddima et le rejet des Ibar disent : nous acceptons le génie, nous écartons son peuple - et le génie l’est aussi parce qu’un incompréhensible fossé le sépare des siens, qu’il échappe aux explications de l’histoire » témoigne Gabriel Martinez-Gros.

Certains au XXe siècle sont encore allés plus loin en falsifiant et en utilisant frauduleusement l’œuvre d’Ibn Khaldûn pour justifier des thèses racistes et colonialistes.

 

Ibn Khaldûn au secours du monde sous-développé

Ibn Khaldûn fit une analyse scientifique étonnement moderne des sociétés musulmanes du XIV siècle en déclin. Il expliqua les raisons qui mènent à l’échec des structures politiques et par suite sociales et économiques. Pour expliquer le déclin des civilisations nées en Afrique du Nord, Ibn Khaldûn n’a pas cherché à imputer les causes à des puissances conquérantes étrangères mais à des facteurs endogènes et généraux.

Ses études n’ont malheureusement pas été exploitées par les maghrébins d’avant colonisation et l’engrenage dans lequel ils étaient enfermés depuis des siècles a rendu possible la domination coloniale au XIXe siècle qui a conduit à l’actuelle situation de sous-développement de ces pays.

Yves Lacoste explique que l’étude des traits les plus originaux et les plus importants de l’œuvre d’Ibn Khaldûn permettra de saisir les causes profondes du sous développement de ces pays « Les recherches, l’analyse et la synthèse qu’a effectuées ce Maghrébin génial du XIVe siècle nous aident aujourd’hui à mieux comprendre le problème qui est sans doute le plus vaste et le plus dramatique de notre temps : le sous-développement » affirme Yves Lacoste.

Certes, la domination des puissances occidentales représente un facteur non négligeable de l’actuelle situation de sous-développement des pays musulmans mais les causes intérieures ont aussi leur importance « la conquête ne résulte pas seulement de la puissance militaires des colonisateurs. Les structures qui existaient depuis plusieurs siècles en Afrique du Nord ont facilité leur entreprise d’une façon décisive » ajoute Yves Lacoste.

Immobilisme, fatalisme et résignation sont les maux qui rongent les sociétés musulmanes d’aujourd’hui. Les analyses faites par Ibn Khaldûn ont montré que l’islam n’a pas été une cause première de la paralysie du système social, politique et économique et que la fatalité était inexistante dans les moments florissants et dynamiques de la civilisation musulmane. Cet islam paralysé et paralysant n’est apparu qu’avec le déclin « l’idéologie d’une société gagnée par l’ankylose ne pouvait rester dynamique et c’est dans la mesure où l’islam a été paralysé qu’il est devenu paralysant » et les vraies raisons sont à rechercher dans les causes internes de ces sociétés.

Ce génie hors norme a légué aux maghrébins en particulier et aux musulmans en général un trésor inestimable, qui est malheureusement peu et mal étudié. Une autre lecture d’Ibn Khaldûn plus intelligente et plus profonde pourra certainement les aider à comprendre la racine de leurs maux afin d’apporter les remèdes nécessaires pour sortir de cette léthargie.

 

Ibn Khaldûn au secours du monde mondialisé, capitaliste et ultralibéral

Face à une société musulmane paralysée et figée, d’autres sociétés « civilisées », « sédentarisées » et individualistes ressemblant de plus en plus à la société d’Ibn Khaldûn se développent en occident et ailleurs. Dans ces sociétés, le marché règne en maître absolu et la mondialisation et l’ultralibéralisme détruisent jour après jour toutes les solidarités (des peuples, des citoyens, des familles, des voisins, des syndicats, des travailleurs) pour les remplacer par une concurrence de tous contre tous. Les peuples et les classes sociales s’affrontent ; les liens et les relations humaines ne sont dictés que par les lois du marché, des villes sont devenus des mégapoles avec de gigantesques agglomérations de population et la nature saignée à blanc commence à rendre l’âme.

Ces sociétés qui sont devenues des modèles de la théorie d’Ibn Khaldûn, obéiront-elles à la loi du théoricien des civilisations et connaîtront-elles le même sort que les civilisations Nord Africaines ?

Dans la grande transformation, Karl Polanyi, affirme que « Permettre au mécanisme du marché d’être l’unique directeur du sort des êtres humains et de leur environnement naturel aurait pour résultat la démolition de la société », la réponse serait-elle donc oui ? Si c’est le cas, que peut apporter Ibn Khaldûn pour la compréhension de ces sociétés qui capitulent devant le marché et dont la lassitude a atteint son seuil critique ?



31/12/2011
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